L’HISTOIRE DE LA MARINE

DE 1700 À 1850

DANS la première partie de cette Histoire de la Marine, nous avons vu comment a progressé le navire depuis le simple tronc d’arbre flottant jusqu’aux extraordinaires bâtiments du XVIIe siècle, capables d’affronter toutes les mers et toutes les situations. Ce fut pourtant une lente évolution de l’homme et de son bateau, à travers des milliers d’années, née du désir de vaincre l’élément liquide et de le dominer le mieux possible. Il nous faut aujourd’hui autant de pages pour parler, pourtant brièvement, de quelque cent cinquante années d’histoire, un siècle et demi d’aventures, au cours desquelles le navire fut tellement lié à la vie des hommes qu’il participa à toutes ses ambitions et fut à la fois un instrument de guerre, de commerce, de pêche et de plaisance.

Sous le règne de Louis XIV, puis de Louis XV, la marine de guerre française s’organise en une véritable puissance. Les rivalités entre grandes nations vont faire du navire un outil de choix dans la conquête du monde et chaque pays va veiller à ce que sa marine soit la plus solide, la mieux armée et la mieux servie. Tout est codifié : chaque appareil de man’uvre est pris en compte, chaque accessoire susceptible d’être utilisé à bord, depuis les outils du charpentier jusqu’à la trousse du chirurgien, chaque baril contenant des biscuits, l’eau ou le vin est répertorié, et surtout chacun À, à bord, une place et une fonction bien déterminées. Il est vrai qu’une bonne campagne résulte d’une bonne organisation, car les vaisseaux de Sa Majesté sont devenus au XVIIIe siècle de véritables villes flottantes : mille hommes sur un vaisseau de premier rang armé de 100 bouches à feu.

On comprend facilement pourquoi le rôle joué par le commandant d’un tel navire est déterminant pour la bonne marche des opérations, et surtout celui du chef d’escadre. Il en est dont la conduite fut légendaire, comme Duguay-Trouin ou, plus tard, Suffren dont les audaces, l’autorité et une excellente connaissance des hommes apportèrent à la flotte française des succès inestimables.

Tous les vaisseaux de guerre n’ont pas la même importance : il en existe plusieurs rangs ou catégories selon leur dimension et leur armement, mais le gros de nos escadres est constitué par des vaisseaux de 74 canons.

Vers le milieu du XVIIIe siècle, le plus petit des vaisseaux cède la place à la véritable frégate : légère, maniable, rapide, la frégate joue merveilleusement son rôle d’estafette. On la choisit pour participer aux voyages de découvertes : Bougainville, Cook, Lapérouse en font les auxiliaires pacifiques de leurs missions d’exploration. La carte du monde ne cesse de se préciser, tandis que les instruments scientifiques se Perfectionnent. Le sextant remplace l’octant, mais il faudra des années de patience et d’étude pour que le vieux bon sablier soit détrôné par le chronomètre dont l’emploi ne se généralisera que vers 1820.

À la fin du XVIIIe siècle apparaissent les corvettes, plus petites que les frégates et dont l’artillerie est placée sur le pont au lieu d’être en batterie couverte.

Les navires de commerce sont construits sur les mêmes principes que les navires de guerre, simplement allégés d’une grande partie de leur artillerie pour faire place à la cargaison et n’utilisant qu’un équipage restreint. Eux aussi font l’objet d’une organisation minutieuse qui explique la grande réussite des différentes Compagnies des Indes, tant anglaise, qu’hollandaise ou française.

Dès la fin de la Guerre d’Indépendance Américaine, les navires français, à l’image des anglais, bénéficient d’une importante amélioration : le doublage en cuivre de la coque pour la protéger contre les algues et les coquillages qui s’y accrochent et freinent la vitesse du navire.

Mais la véritable révolution de la construction navale prend naissance, sans que l’on y prenne garde et dans l’indifférence générale, lorsque Jouffroy d’Abbans fait naviguer sur la Saône son modeste petit bâtiment à vapeur. Pourtant le désastreux combat de Trafalgar, en 1805, ne remettra pas en cause le principe de la propulsion à voile. C’est à l’Amérique, nation neuve et dynamique, que revient le mérite d’avoir reconnu, en ces premières années du XIXe siècle, l’immense promesse que représente la vapeur dans le domaine de la navigation.

Aidée par les progrès de la métallurgie, il ne lui faudra que quelques années pour s’imposer et en 1829 elle fait son entrée officielle dans la marine de guerre française.

Les premiers navires à vapeur sont munis d’une machine qui actionne des roues à aubes. Leur aspect se modifie, mais ils reprennent cependant les anciennes dénominations de la marine à voile : frégates ou corvettes. Si leurs roues à aubes, très exposées au feu de l’ennemi, ne leur laissent qu’une faible valeur militaire, ils n’en sont pas moins les précieux auxiliaires des vaisseaux à voile.

L’apparition de l’hélice, placée à l’abri sous l’eau, va remédier à cet état de choses et permettre d’accroître l’artillerie tout en augmentant la vitesse.

Voile et vapeur sont utilisées conjointement sur ces bâtiments dits « mixtes ». Ainsi, de même que l’on transforme peu à peu les anciens vaisseaux en vapeurs à hélice, on en construit de nouveaux, mais en leur conservant une voilure complète puisque se pose déjà le problème du ravitaillement en combustible.

Les derniers vaisseaux trois-ponts mis en chantier à cette époque ne sont plus que les héritiers déclinants des chefs-d’oeuvre de l’ingénieur Sané, tandis que les fameux clippers de commerce portent à la perfection l’utilisation de la voile comme unique moyen de propulsion.

Les élégantes goélettes de Terre-Neuve ou d’Islande, tout comme les petits bâtiments de pêche de nos côtes, seront, pour longtemps encore, les fiers représentants de la construction traditionnelle en bois que nous avons tant de mal, aujourd’hui, à retrouver et à préserver.