L’HISTOIRE DE L’AVIATION

DES ORIGINES À 1914

VOLER ! S’élever dans les airs comme un oiseau ! Grand rêve de l’homme, depuis toujours. Rêve un peu fou : vouloir voler, c’était jeter un défi à la nature humaine, dont la place, que diable ! est au sol et non entre ciel et terre... Ce grain de folie habitait les premiers « piqués » de l’aviation. « Piqués », ils ne l’étaient pas tant que ça !...

Rêve de voler, qui n’est devenu réalité qu’après des milliers d’années. On en trouve la trace chez tous les anciens peuples. Chez les Égyptiens comme chez les Chinois – qui inventèrent le cerf-volant – mais surtout sur les bords de la Méditerranée, berceau de la civilisation gréco-latine. C’est là que les bonnes gens, faute de pouvoir voler, inventaient des êtres fabuleux qui volaient pour eux : ormuzd, Isis, divinités aux ailes déployées.

C’est là qu’est née, parmi d’autres, la légende de Dédale et de son fils Icare : pour fuir le Labyrinthe ils avaient fabriqué des ailes avec des plumes d’aigle, mais durant l’ascension d’Icare vers le soleil, la chaleur fit fondre la cire reliant les plumes et ce fut la chute du héros dans la mer Égée. Quel symbole des aspirations trop hautes ! Mais un jour, les enfants d’Icare ne seront plus trop ambitieux ; un jour, ils triompheront de la pesanteur. Et c’est le récit détaillé de cette extraordinaire victoire que vous trouverez dans les pages qui suivent.

Il y eut les fables d’Ésope, où des jeunes gens font du tourisme aérien à califourchon sur le cou de vautours harnachés comme des chevaux. Il y eut les légendes de Persée monté sur le cheval ailé Pégase, de Phaéton provoquant un début d’incendie du globe terrestre en conduisant imprudemment le char ailé de son père le Soleil. Il y eut Nemrod, roi mythique de Chaldée, volant sur un char attelé de grues et de hérons. Et faut-il évoquer les fameux tapis volants des contes orientaux ?

Mais tout cela n’était que fumées de l’imagination. Des siècles passèrent. L’Empire romain s’écroula. Vint la nuit du Moyen Âge. L’homme oublia même les ailes chimériques qu’il s’était données en songe depuis des millénaires.

Quand la Renaissance, au début du XVIe siècle, fit soudain éclore son incomparable floraison d’artistes et de penseurs, il se trouva parmi ceux-ci un génie extraordinaire : Léonard de Vinci. L’illustre Florentin fut le premier à résoudre en théorie les problèmes du vol humain. Les solutions qu’il proposait étaient concrètes, possibles. Avec une prescience inouïe, il conçut et dessina des engins auxquels ne manquait qu’un « moteur » pour qu’ils pussent voler.

Cent années s’écoulèrent de nouveau. À la fin du XVIIe siècle, un autre Italien, le Père Lana, dessine un vaisseau volant : engin utopique, bien sûr, mais qui déjà révélait l’orientation qu’allaient suivre les pionniers. Quelques années plus tard, en 1678, les annales relatent le premier vol humain connu et vérifié : celui du Français Besnier, modeste serrurier, qui réussit à voler en actionnant des ailes en forme de balanciers.

Rien à signaler pendant une soixantaine d’années. En 1742, le marquis de Bacqueville, plus que sexagénaire, traverse la Seine avec des ailes de sa fabrication, et se casse une jambe sur un bateau de lavandières accosté à la rive adverse. Il n’y a pas de quoi sourire : ce n’est pas la faute de ceux qui expérimentent une machine encore rudimentaire si leurs tentatives ont souvent un côté cocasse.

À partir de ce moment, on va voir certains aspirants à la conquête du ciel user d’un moyen en quelque sorte « détourné » : le ballon. Les frères Montgolfier, Pilâtre de Rozier, d’autres encore, parviennent à vaincre la pesanteur. Avec l’aérostat, pourtant, les choses ne vont pas comme l’homme les avait souhaitées dans son vieux rêve. Il ne peut se diriger dans les airs au gré de sa volonté. Aussi cherche-t-il un autre engin, plus maniable, moins infirme : l’engin qui recevra un jour le nom d’« avion ».

Le mouvement est donné. Il ne s’arrêtera plus. De-ci de-là, des hommes s’attaquent avec acharnement au problème du « plus lourd que l’air ». En 1842 et 1843, les Anglais Cayley et Henson ouvrent la voie aux recherches pratiques. Ils ont bientôt des émules : Stringfellow en 1848, avec son moteur à vapeur bijou ; en 1857, les frères du Temple avec leur projet d’avion-bateau ; en 1857 et 1863, l’audacieux capitaine Le Bris ; puis l’inégalable Pénaud, aux travaux d’une clairvoyance exceptionnelle ; puis Tatin et plusieurs autres dont la liste serait trop longue. Tous ces « défricheurs » tracèrent des plans et construisirent des appareils : mais ceux-ci, ou bien n’avaient pas de moteur et ne firent que planer ; ou bien, quand ils avaient un moteur, ils ne parvenaient pas à décoller.

Ader, enfin. Ader qui, le 9 octobre 1890, est le premier homme à faire voler un avion. Performance réalisée à bord du monoplan « Eole » et renouvelée, sept ans plus tard, avec l’ « Avion III ». Encore ces prouesses sont-elles, à l’époque, mises en doute. Qu’un avion ait réellement quitté le sol n’est pas encore une certitude. Elle vient avec les frères Wright : ceux-là, le 17 décembre 1903, réussissent un bond dans les airs, exploit qui n’est pas discuté. De ce jour, l’aviation est vraiment née.

Et voici la cohorte des grands constructeurs. En 1906, Santos-Dumont et Vuia. En 1907 et 1908, Voisin, Farman, Esnault-Pelterie. Le 25 juillet 1909, Blériot accomplit sa mémorable traversée de la Manche. Viennent ensuite, aux États-Unis, en Belgique, en Angleterre, en France surtout, les Curtiss, Tips, Short, Roe, Bréguet, Nieuport, Deperdussin... À partir de cette période, les noms qu’il faudrait citer forment une frange sans fin.

Mais déjà ce ciel enfin conquis – à peine conquis – se chargeait de nuages menaçants. Indifférents au début, les états-majors se déplaçaient pour examiner les avions, embrigadaient les pilotes, passaient commande d’appareils, formaient des escadrilles, les entraînaient. Funeste entraînement ! Bientôt, au bout des ailes toutes neuves, on peignait des cocardes.

Il avait fallu des siècles à l’homme pour inventer l’avion, mais peu d’années pour en faire une arme. Tel était l’aboutissement de l’immense labeur des pionniers. Ce n’est pas cela qu’ils avaient rêvé. Mais le mérite et l’honneur de ces chercheurs n’en sont pas diminués. Car leur idéal était pacifique : l’oiseau qu’ils avaient pris pour modèle n’était pas le vautour. C’était le pigeon, c’était la mouette...