L’HISTOIRE DE L’AÉROSTATION

DES ORIGINES À 1940

NOUS ne pensons pas faire une découverte en affirmant que dans l’histoire longue et tourmentée, qui a conduit l’homme de sa première caverne, ou maison sur pilotis, à la civilisation des machines, ce qui l’a toujours guidé a été la nature. C’est elle, en effet, qui lui a soufflé en lui murmurant presque à l’oreille ce qu’il devait faire ou ne pas faire pour survivre et progresser. Certes, ce n’est pas l’homme qui a allumé le premier feu, mais il en a compris l’importance et, de là, partit et se développa toute possibilité de progrès humain. Les intuitions fondamentales de la navigation vinrent à l’esprit de nos ancêtres de la même façon : en voyant le tronc d’un arbre déraciné suivre le courant d’un fleuve, ou un enchevêtrement de branches arrachées à la rive soutenant des animaux surpris par la crue, ils eurent l’idée de les imiter. Et ces ingénieux bipèdes surent bénéficier de cette suggestion. Ils utilisèrent l’infidèle et hostile élément liquide et, après une suite d’aventures merveilleuses, le transformèrent en un réseau de voies de communication.

Plus longue et plus périlleuse fut pourtant l’expérience du vol : comment dérober aux oiseaux le secret leur permettant de s’élever dans les airs ? Pendant des millénaires, l’homme observa, pensif, leur vol libre dans le ciel pur, rongé par, le désir de l’imiter. La nature, une fois encore, le provoquait en lui indiquant une conquête à entreprendre. Des corps plus pesants que l’air pouvaient s’élever dans le ciel grâce à un battement d’ailes. Pendant des milliers d’années, l’homme, présomptueux Icare, s’ingénia à les copier mais, chaque fois, il retombait lourdement sur sa prison terrestre.

Jusqu’à ce qu’un jour — c’est une histoire récente que nous vous avons racontée dans cette collection avec l’histoire de l’Aviation — Icare ne retombe plus : le secret des ailes avait été dévoilé !

Dans ce livre illustré par Hergé, nous racontons justement l’histoire de cette conquête ; l’histoire du « plus léger que l’air » depuis les expériences courageuses du ballon à air chaud, appelé Montgolfière, du nom de ses inventeurs, jusqu’au dirigeable perfectionné en passant par l’aérostat à hydrogène. Nous suivons l’inépuisable chemin du progrès technique, les améliorations, les affirmations, les drames aussi, jusqu’au déclin, à l’éclipse qui n’est ni totale, ni définitive.

Les premières intuitions historiquement prouvées dans le domaine de l’aérostatique sont italiennes et nous ont été données par le jésuite de Brescia. Francesco Lana, en 1670, dans son livre « Prodromo dell’Arte Maestra » exposait l’idée de « naviguer » dans l’atmosphère au moyen d’un bateau soigneusement dessiné et projeté, formé de quatre grandes sphères de cuivre vides d’air dont il calculait exactement les dimensions et l’épaisseur. La pauvreté et l’habit interdirent au père Lana d’expérimenter sa machine. Celle-ci lui provoqua même certains ennuis, dont son arrestation et sa dénonciation au Tribunal de l’Inquisition pour ses « pratiques magiques ».

La découverte de l’hydrogène par l’Anglais Cavendish en 1781 fut décisive. L’année suivante, c’est-à-dire un an avant la montgolfière, l’Italien Tibère Cavallo, et Black à Londres, Barbier de Tinan et Volta à Genève, eurent l’idée de remplir des vessies et des bulles de savon avec ce nouveau gaz. Les vessies ne purent s’élever tandis que les bulles de savon — au contraire — démontrèrent le pouvoir ascensionnel de « l’air inflammable » ; ainsi appelait-on alors l’hydrogène.

Cavallo poursuivait ses recherches quand, le 4 juin 1783, à Annonay, la première montgolfière s’éleva. Quatre mois et demi après, Pilâtre de Rozier (qui, deux ans plus tard, devait être la première victime du « plus léger que l’air ») accomplissait, en compagnie du Marquis d’Arlandes, l’exaltante expérience à laquelle nous faisons allusion au début.

Parallèlement, un autre Français, le physicien Charles, songeait lui aussi à mettre à profit le pouvoir ascensionnel de l’hydrogène. Il créa une enveloppe de soie vernie et réussit à fabriquer du gaz en grande quantité et le 27 août 1783, son ballon, construit à Paris, s’élevait, non monté, du Champ de Mars.

L’élan était donné et, après quelques ascensions captives, les premiers voyages aériens eurent lieu en France : le 21 novembre 1783 par Pilâtre de Rozier et le Marquis d’Arlandes avec une montgolfière ; le 1er décembre 1783 par Charles et Robert, constructeurs, avec un ballon à hydrogène. Celui-ci comportait de telles innovations techniques : enveloppe vernie, filet, soupape, lest, appendice... qu’il est réellement le premier ballon libre permettant à l’aéronaute de naviguer grâce à l’emploi du lest et de la soupape.

Ce n’est pas seulement la France mais le monde entier, et plus particulièrement l’Europe, qui se lança alors dans la pratique de l’aérostation. Le 25 février 1784, Carlo et Agostino effectuaient, à Milan, un court voyage aérien avec une montgolfière financée par le Chevalier Paolo Agostino qui, ayant dépensé 4.000 sequins, participa à l’ascension. En Espagne, c’est le Français Bouché qui effectua une démonstration le 4 juin 1784. Aux États-Unis, un jeune garçon de 13 ans, Ed. Warren, devint le 24 juin de cette même année le premier aéronaute américain, le ballon construit par Carnes ayant un pouvoir ascensionnel insuffisant pour enlever un adulte.

À Vienne, en Autriche, le 7 juillet 1784, Stuver, avec trois passagers, fit involontairement un voyage aérien, le câble qui retenait sa montgolfière s’étant rompu.

La Grande-Bretagne n’était pas en reste : le 25 août, James Titler effectua une courte ascension captive mais c’est l’Italien Lunardi qui, dans ce pays, réalisa le premier voyage aérien, de Londres à Ware, dans le Hertfordshire, le 15 septembre 1784.

Ces ascensions et celles qui suivirent pendant tout le XIXe siècle furent l’occasion de divers essais qui, souvent, se terminèrent mal. Les premières victimes de la conquête de l’air furent Pilâtre de Rozier et Romain, dont l’aéromontgolfière s’enflamma au cours d’une tentative de traversée de la Manche le 15 juin 1785. Zambeccari, célèbre pilote italien, devait périr de la même façon en 1812.

Il est pratiquement impossible de citer tous les aéronautes qui, au cours de cette période, se risquèrent dans des entreprises qui soulevèrent et stupéfièrent les foules.

Par ailleurs, les esprits les plus brillants étudiaient activement la possibilité de donner à l’aérostat, stabilité, autonomie de vol et de direction. C’était beau, très beau même de flotter dans le ciel sur un ballon en proie aux courants aériens... Mais c’était encore plus beau, et surtout plus utile, de pouvoir se servir de ce nouveau moyen : parcourir des routes choisies, ne pas se laisser dominer par les forces de la nature. Cette seconde partie de l’histoire, vous la trouverez également dans ce livre que vous vous apprêtez à lire. L’histoire du « dirigeable » commence vraiment en 1852 avec les premières applications techniques de Henri Giffard qui utilisa, pour la propulsion, une machine à vapeur. Après les essais de Dupuy de Lôme et de Haenlein (1872) et des frères Tissandier (1883), les Capitaines Renard et Krebs accomplissaient — en 1884 — le premier circuit aérien avec le dirigeable « La France ».

Puis ce fut l’essor du dirigeable, auquel de grands noms sont associés. En Allemagne, Woelfert (1896) et Zeppelin (1900) ; en France, Santos-Dumont (1898), Lebaudy (1903) ; en Italie, Forlanini, Crocco, Ricaldoni (1909). Différentes techniques furent adoptées : cependant que la France construisait surtout des aéronefs souples, l’Allemagne se tournait vers les rigides et l’Italie adoptait une solution mixte : le semi-rigide, formule très intéressante pour son bon rendement. Les armées de ces trois pays allaient utiliser leurs aérostats pendant la Première Guerre mondiale.

Mais malgré les énormes progrès réalisés, le développement du dirigeable fut bloqué par l’évolution extrêmement rapide du « plus lourd que l’air » : l’avion, et aussi par une suite de tragédies qui découragèrent l’industrie, en sensibilisant négativement l’opinion publique.

Le dirigeable est cependant encore utilisé par les armées de quelques pays et il n’est pas dit comme nous y faisions allusion au début - que l’avenir ne nous réservera pas la surprise de le voir à nouveau utilisé à des fins civiles ou militaires !

Avec son glorieux ancêtre le ballon, le dirigeable a donc marqué un moment précis de l’histoire de l’humanité et ses péripéties méritent non seulement le souvenir, mais aussi une étude approfondie qui le fasse mieux connaître.